Abandonner aujourd’hui les engrais chimiques est-il possible?

13 mai 2019

La fertilisation est un aspect incontournable de la production agricole et elle est liée tant à la productivité des cultures qu’à la qualité de l’environnement. Son objectif est d’assurer une disponibilité adéquate des éléments nutritifs en fonction des besoins des cultures et de la capacité naturelle des sols à fournir des éléments nutritifs. Les engrais organiques sont utilisés depuis des millénaires alors que les engrais minéraux ont fait leur entrée à la fin du 19e siècle. Maintenant contestés plus que jamais, serait-il possible de tout simplement les abolir?

 

par Marc-Olivier Gasser, chercheur

À prime abord, les engrais chimiques ne pourraient pas être mis de côté du jour au lendemain sans affecter le régime alimentaire actuel des Québécois. Effectivement, 80 % des superficies cultivées, dont certaines par des cultures exigeantes en engrais, sont destinées à nourrir les élevages pour la production de viande ou de produits laitiers dont sont friandes les populations occidentales. Sans les engrais de synthèse, l’agriculture n’aurait pas profité depuis le début du siècle dernier d’importantes augmentations de rendements et les Occidentaux, dont le mode de vie se propage lentement à l’ensemble de la planète, n’auraient donc pas pu se permettre une grande consommation de produits d’origine animale.

Toutefois, l’utilisation des engrais de synthèse n’est pas sans conséquence sur l’environnement. Durant les cent dernières années, le protoxyde d’azote (N2O), un puissant gaz à effet de serre, s’est accumulé dans l’atmosphère terrestre de façon proportionnelle à la consommation d’engrais azotés et ces derniers nécessitent une grande consommation de gaz naturel pour leur production. De leur côté, les engrais phosphatés proviennent d’une ressource non renouvelable et contribuent à l’eutrophisation des plans d’eau lorsqu’ils sont appliqués en excès dans les champs.

Des alternatives pour réduire leur utilisation

Si abolir totalement et rapidement les engrais minéraux est pour l’instant illusoire à l’échelle planétaire, l’IRDA aide les producteurs d’ici à en réduire leur utilisation par l’adoption de meilleures pratiques agricoles. Par exemple, l’usage d’engrais verts de légumineuses dans les rotations de cultures annuelles permet de réintroduire de l’azote réactif dans le système sol-plante en utilisant le même principe que les engrais de synthèse, c’est-à-dire en captant l’azote présent dans l’air, mais sans consommer de gaz naturel ni produire d’émissions importantes de N2O. Du point de vue des habitudes alimentaires, une étude française publiée en début d’année a souligné l’importance des émissions de gaz à effet de serre liées à un régime alimentaire où la consommation de viande et de produits laitiers tiennent une place prépondérante. Selon cette étude, « un régime réduisant d’environ la moitié la consommation de viande et de produits laitiers au profit d’une augmentation de la consommation d’aliments végétaux, associé à une évolution des pratiques agricoles plus économes en intrants et à une réallocation des terres agricoles, permettrait de réduire l’empreinte carbone du stade agricole par deux ».

Une augmentation de la consommation de légumineuses par la population – comme le soya, les lentilles et les pois chiches – pour remplacer les protéines animales réduirait donc la pression pour la production de cultures destinées à l’alimentation animale et contribuerait à améliorer la biodiversité des sols. À cet effet, l’Ouest canadien est le plus grand producteur et exportateur de lentilles et de pois chiches au monde. Finalement, les chaînes de gestion des effluents d’élevages, des filières de compostage et de biométhanisation devraient aussi être sous la loupe pour retourner un maximum d’azote aux sols agricoles et ainsi limiter le recours aux engrais de synthèse.

L’agriculture biologique, autre contributrice au recul des engrais chimiques?

L’IRDA travaille aussi en régie biologique, un mode de production où les engrais de synthèse sont proscrits, ce qui force en quelque sorte les producteurs agricoles et les chercheurs à être doublement créatifs dans le développement de nouvelles pratiques. Le développement de la production biologique permettra aussi de valider si cette dernière pourra soutenir à long terme et à grande échelle un mode de consommation à l’occidental. C’est donc dire que, à moins de changements importants dans le régime alimentaire des Occidentaux, les engrais chimiques continueront de jouer un rôle, particulièrement lorsqu’un sol n’est pas en santé ou s’il présente des problématiques de fertilité.

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